Pionnier de la bande dessinée, l’auteur de “The Spirit” aurait eu 100 ans cette année. Il est célébré à Angoulême par le biais d’une grande exposition. Retour avec son commissaire, Jean-Pierre Mercier, sur le génie de Will Eisner.
Aux Etats-Unis, les prix décernés aux meilleures bandes dessinées – les Eisner awards – portent son nom. Will Eisner (1917-2005) est une figure du neuvième art dont l’œuvre fut novatrice, foisonnante, variée. A Angoulême, le Musée de la bande dessinée lui consacre une grande exposition.
Mais pourquoi considérer l’auteur de The Spirit (adapté au cinéma par Frank Miller en 2008) ou d’Un pacte avec Dieu comme un génie ?
Parce qu’il fut un précurseur
Fils d’immigrants juifs originaires de Roumanie et d’Autriche, Will Eisner grandit dans la misère à Brooklyn. « Il lit Krazy Kat, Popeye, apprécie le travail de Winsor McCay (Little Nemo in Slumberland), Milton Caniff (Terry et les pirates), dont le noir et blanc le fascine, précise Jean-Pierre Mercier, commissaire de l’exposition. Tout jeune, il essaie d’entrer dans le métier alors que la BD est mal considérée. » Dès 1935, il publie des dessins et bandes dessinées puis cofonde, un an plus tard, un studio graphique qui produit clés en main des BD pour des éditeurs spécialisés.
Parce qu’il a signé “The Spirit”
En juin 1940, il répond à une commande et imagine une série policière de petit format, composée de récits de sept pages. Ce sera The Spirit, une histoire de détective avec des malfrats et des femmes fatales. « A sa façon, il transcende l’exercice, poursuit Jean-Pierre Mercier. Par sa grande ambition narrative, et son exigence formelle, il touche un public adulte, sensible à l’ironie qu’il distille. Techniquement, la répartition de ses noirs et blancs est magistrale, ses jeux sur l’ellipse somptueux. Il joue avec les formes, propose chaque semaine une ouverture graphiquement puissante – le titre s’inscrit sur un morceau de papier qui vole au vent, sur une affiche dans une ruelle sombre, ou sur une partition de musique. Il traduit en images la poésie de la ville [Eisner s’inspire de New York, ndlr]. »
Parce qu’il a inventé le roman graphique
A la fin des années 70, Eisner observe l’arrivée de la vague underground, rencontre Art Spiegelman et Robert Crumb. En 1978, il publie Un pacte avec Dieu, un graphic novel ou roman graphique, forme novatrice qui lui permet d’explorer les quartiers pauvres de son enfance. « La narration est plus simple, le trait plus personnel, tout en étant extrêmement sophistiqué, détaille encore Jean-Pierre Mercier. C’est une seconde période de créativité, tout aussi fertile et importante que la première, qui s’ouvre pour lui. » Suivront entre autres L’Appel de l’espace, Affaires de famille, La Valse des alliances, Petits miracles…
Parce qu’il resta maître de son œuvre
Cas rare dans la bande dessinée, Will Eisner garda la main sur son œuvre, dont il négocia très tôt les droits. « The Spirit lui appartenait, et est toujours géré par sa famille, indique Jean-Pierre Mercier. Dans les années 60, Eisner monta sa propre maison d’édition, Poorhouse Press, afin de maîtriser l’ensemble de la chaîne de production de ses livres. Plus tard, il publiera des ouvrages sur la théorie de la bande dessinée, faisant un pas de côté pour réfléchir à son médium. Il fut un grand auteur autant qu’un businessman avisé. »
A voir
L’exposition « Will Eisner, génie de la bande dessinée américaine », au Musée de la bande dessinée d’Angoulême, du 26 janvier au 15 octobre 2017.
A lire
Plusieurs des romans graphiques de Will Eisner sont publiés aux éditions Delcourt. Mais The Spirit n’est malheureusement plus disponible en langue française, en attendant qu’un nouvel éditeur acquière ses droits.