LES PHOTOS D’UN OPPOSANT CHINOIS. Ai Weiwei, le plus célèbre des artistes chinois, n’est pas autorisé à sortir du territoire. Mais ses photos, ses blogs et ses tweets, reproduits sur écran, ont fait le voyage jusqu’en France.
Ai Weiwei, le plus célèbre des artistes chinois, n’est pas autorisé à sortir de son pays. Ca n’empêche pas le Jeu de paume de lui consacrer une grande exposition. (©Sipa)
Nous venons d’entrer dans l’année du Dragon (symbole de force) et le Jeu de Paume s’apprête à ouvrir les portes d’une exposition consacrée à un artiste contemporain connu dans le monde entier. Celui-ci n’assistera pas au vernissage. Les autorités lui interdisent de quitter son pays, la Chine. On y fabrique dans des bagnes modernes les ordinateurs, les tablettes et les téléphones qui nous permettent de communiquer «en toute liberté». L’artiste, lui, s’appelle Ai Weiwei.
Le grand public a découvert son nom avant les jeux Olympiques de 2008 (année du Rat): il a été le conseiller artistique du cabinet d’architectes Herzog & de Meuron lors de la construction du stade national de Pékin surnommé le «nid d’oiseau». En avril dernier, Ai Weiwei a fait la une des journaux, mais, cette fois, pour avoir été mis en prison. La vague de protestations qui a déferlé sur la planète n’y a rien fait: accusé de «crimes économiques», l’artiste a été détenu pendant quatre-vingts jours. Après quoi il s’est vu signifier, outre son interdiction de sortir du territoire, une amende de 1,8 million d’euros.
Si l’étau semble s’être desserré autour de lui (il a pu récemment recevoir des journalistes étrangers), il n’est pas dit que cette situation ne puisse à nouveau se détériorer. Car si le rebelle a mis de l’eau dans son maotai (alcool fort chinois), il n’en continue pas moins de représenter un danger pour un régime qui s’obstine à maintenir en détention, parmi plus d’une centaine d’autres opposants, le prix Nobel de la paix 2010, Liu Xiaobo.
AI WEIWEI est né en 1957 à Pékin. Après des études de cinéma, il fonde à la fin des années 1970 le groupe avant-gardiste Les Etoiles. En 1981, il part pour les Etats-Unis où il séjournera pendant douze ans. Photographe, architecte, plasticien, il acquiert une notoriété mondiale à partir des années 2000. Il vit à Pékin sous surveillance policière. (c) Afp |
L’exposition du Jeu de Paume, dont l’organisation avait été prévue avant l’arrestation du dissident, ne présente qu’une facette de l’univers du créateur asiatique. Laissant de côté l’architecture, la sculpture et les installations, elle met en évidence un parcours assez complet dans un domaine que l’artiste n’a jamais cessé de pratiquer, la photographie.
Dès 1983, âgé de 26 ans, il mitraille les rues de New York, ville où il habitera pendant une dizaine d’années. Il prend en photo ses amis chinois et américains (dont le poète Allen Ginsberg), mais aussi des scènes urbaines révélant la misère cachée, le dénuement des SDF, la violence des fics. En l’espace d’une décennie, Ai Weiwei prend plus de dix mille clichés.
En 1993, l’artiste décide de rentrer en Chine. Son père, Ai Qing, étant malade, il souhaite se rapprocher de lui. Formé en France entre 1929 et 1932, Ai Qing, poète et intellectuel, sera envoyé en camp de rééducation avec femme et enfants (et parmi eux Ai Weiwei). Ce n’est qu’à la fin des années 1970 qu’il pourra à nouveau publier sa poésie.
Nourri d’influences occidentales (Marcel Duchamp, Andy Warhol), Ai Weiwei a tôt fait de rejoindre la maigre avant-garde artistique. La pratique photographique à laquelle il se livre à cette époque est pour une part importante documentaire.
Au début des années 2000, il s’attaque à ce qu’il appelle des «paysages provisoires», immenses terrains vagues appartenant à l’Etat. En attendant des constructions nouvelles, ils servent de décharges sauvages. De la même manière, Ai Weiwei suivra pendant quatre ans la construction du nouveau terminal de l’aéroport de Pékin, conçu par Norman Foster, puis entre 2005 et 2008, celle du célèbre «nid d’oiseau».
«Libérez Ai Weiwei» (sur des sacs «made in China»)
Ces images d’Ai Weiwei témoignent du surgissement d’une Chine qui n’hésite pas à détruire son propre patrimoine pour se consacrer à un développement sans foi ni loi. La preuve avec le tremblement de terre du Sichuan, en mai 2008 (69.000 victimes, 5 millions de sans-abri). Ai Weiwei se rend sur les lieux. Il prend des photos et publie sur son blog la liste des enfants morts dans les écoles – dont la plupart, conséquence des corruptions locales, ont été construites à l’emporte-pièce.
C’est à partir de ce moment que le témoin Ai Weiwei commence à agacer le pouvoir pékinois. Après la fermeture de son blog par les autorités en 2009, il passe sur Twitter. Dans l’exposition, on pourra voir sur des écrans plusieurs pages de ses blogs (sauvegardées avant une descente de police) ainsi que les tweets échangés avec ses suiveurs durant la journée du 19 février 2011.
L’exposition Ai Weiwei, au Jeu de Paume (75008 Paris), du 21 février au 29 avril 2012. (©Sipa) |
Car Ai Weiwei ne baisse pas la garde. Agitateur, il l’est à sa façon, quitte à être rejeté par une partie de la communauté artistique chinoise qui lui reproche son goût pour les coups médiatiques. Des coups, il continue à en prendre dans un pays où règne l’art du paradoxe. En juin dernier, lors de la Biennale de Venise, on distribuait des sacs rouge écarlate sur lesquels on pouvait lire en anglais «Libérez Ai Weiwei». A l’intérieur, une petite étiquette indiquait le lieu de fabrication de l’objet: «made in China». Vous avez dit bizarre?
Bernard Géniès
Ai Weiwei: Entrelacs, Jeu de Paume, Paris 8e;
01-47-03-12-50 et www.jeudepaume.org. Du 21 fév. au 29 avril.
Source: « le Nouvel Observateur » du 16 février 2012.
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